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Mariage pour tous, Manif pour tous : Occasion manquée pour tous ? Comment s’en sortir quand les valeurs et non les intérêts sont en conflit ? 4/4

Après 172 heures de débats et 5.300 amendements, la loi instaurant le « Mariage pour tous », dont l’objectif est d’élargir le mariage et l’adoption aux couples de même sexe, a été adoptée à l’Assemblée Nationale le 25 avril. Cela la fait rentrer dans le Top 10 des textes les plus débattus de la Vème république. Pour autant, le chemin pour y parvenir ne fut pas pavé de roses et l’affaire ne semble pas classée pour autant.

En effet, le Gouvernement a été confronté depuis le mois d’août 2012 à un mouvement de public en colère contestant cette réforme. Cette opposition est constituée par un ensemble de mouvements aussi bien associatifs que politiques et religieux. Elle a progressivement pris de l’ampleur jusqu’à atteindre plusieurs centaines de milliers de personnes dans la rue lors de la manifestation du 24 mars. Malgré le vote de la loi au Sénat et à l’Assemblée Nationale, le soufflet n’est pas tombé et les opposants ne semblent pas désarmer. En attendant la manifestation du 26 mai et surtout les délibérations du Conseil Constitutionnel, les anti-mariage gay ont adopté de nouvelles formes de protestations pacifiques avec le « mouvement des veilleurs ». Ils organisent ainsi des soirées de « résistance non violente » dans plusieurs villes de France et espèrent encore faire reculer le Gouvernement.

Ce qui ne devait être qu’une simple formalité, a cristallisé une opposition totalement inattendue qui a pris au dépourvu les partisans de cette réforme. De toutes les promesses, celle-là ne dépendait que du bon vouloir du pouvoir en place fort de sa majorité au parlement. Alors que pour doper la croissance ou inverser la courbe du chômage tous les leviers sont loin d’être entre les mains du gouvernement. Cette réalité conférait à cette réforme encore plus d’importance aux yeux du Pouvoir attendu au tournant par rapport à ses promesses.

Rarement une réforme n’a suscité une mobilisation d’une telle ampleur et elle a semblé s’inscrire dans la lignée d’autres mouvements sociaux de grande envergure qui ont secoué la France depuis 40 ans. A chaque fois, ils sont venus bousculer le pouvoir en place qu’il soit de droite ou de gauche. Les comparaisons ont fusé de toutes parts. Parfois osées, en mettant ce mouvement en parallèle avec mai 68 alors que ce dernier était une révolte contre l’ordre établi. D’autres, l’ont rapproché des grandes manifestations de masse contre des réformes souhaitées par les gouvernements en place. En 1984, ce fut pour la défense de l’école libre et contre le projet Savary de réforme de l’école. En 1995, ce fut pour la défense de droits acquis de haute lutte et contre les projets de réforme des retraites et de la Sécurité Sociale de Juppé. En 2006, contre le Contrat Première Embauche (CPE) de Villepin en l’accusant d’être un SMIC jeune.

Dans tous ces conflits, il y avait pour les opposants la défense d’un avantage acquis (les retraites, les subventions) ou le refus d’une injustice de ce qui a été considéré comme l’exploitation des jeunes par les entreprises (le CPE).

Or, dans le cas présent, il y a une grande différence qui a même été relevé par le Président de la République lors de son annonce de l’adoption de la loi : « Ceci n’enlève rien aux opposants ». En effet, il n’y a ici ni défense d’intérêts catégoriels, ni la défense d’un avantage acquis. Comme le signalait justement G. Roquette dans un édito dans le figaro magazine, « Ils n’avaient rien à gagner pour eux-mêmes au retrait de la loi et ils n’ont rien perdu avec son adoption ». Alors, quels sont les ressorts qui nourrissent encore ce mouvement de protestation et qu’est ce qui le rend si difficile à gérer et à contenir ? Pourquoi les « anti » ne désarment pas malgré des sondages qui montrent, qu’à présent, plus de 60% des Français acceptent la loi votée ?

Sont-ils des jusqu’au-boutistes qui refusent tout simplement de jeter les armes et de reconnaître leur défaite ? Sont-ils plutôt des néo-conservateurs qui refusent d’accompagner les évolutions de la société et qui se sont égarées du chemin de l’équité à qui il faut ouvrir le cœur et les yeux ? Ou sont-ils manipulés par la droite qui refuse sa défaite aux élections présidentielles et qui tape sur tout ce qui bouge ? Ou bien, y a-t-il une autre explication cachée de ce refus qui a échappé même à la perspicacité de M. Hollande. C’est cette dernière hypothèse que nous privilégions.

Cet article n’est ni un plaidoyer pour ni contre ce projet. C’est l’occasion d’analyser en quoi et pourquoi, une réforme sociétale qui ne devait être qu’une simple formalité, s’est transformée en une véritable crise dont la gestion a engendrée un clivage qui a divisé la société Française comme on ne l’a pas connu depuis longtemps.

A quel problème cette loi est-elle supposée apporter une réponse ?

Tout le monde s’accordait à dire que le PACS, quoiqu’il fût une véritable avancée lors de son adoption il y a une quinzaine d’année, n’apportait pas, pour les couples de même sexe, une réponse totalement satisfaisante. En effet, suite au décès de l’un des conjoints, le survivant n’était pas protégé au niveau de la succession ; de même, en cas de présence d’enfants du disparu, le survivant n’avait pas d’autorité parentale reconnue. Le droit, toujours en retard sur la réalité, est appelé un jour à prendre en compte ce décalage et, la loi dite improprement le « Mariage pour tous », devait pallier à ces imperfections et rétablir une égalité de droit entre les couples homosexuels et hétérosexuels. Or, s’il est vrai que l’évolution de la société, notamment un taux de divorce proche de 40%, a conduit à la coexistence de plusieurs modèles familiaux, beaucoup d’homosexuels, qui plus est quand ils vivent en couple, continuent à souffrir d’un certain rejet et de discriminations parfois pires que ceux vécues par des handicapés. La lutte contre l’homophobie est un combat légitime qui est loin d’être terminé.

Ceci dit, qui peut s’opposer dans un pays démocratique au besoin de reconnaissance juridique de couples partageant une vie commune ayant juste la particularité d’être du même sexe ? Qui peut s’opposer au besoin de protéger les enfants de ces couples quelles que soient les circonstances qui ont conduit à cette situation (PMA, adoption par une des femmes ou décision de quitter un foyer hétérosexuel pour vivre en conformité avec son inclination) ? Qui peut s’opposer à la volonté d’un couple homosexuel qui cherche à se protéger réciproquement (sur le plan de la succession, par exemple) en cas de décès de l’un d’eux ? Alors, pourquoi ce refus ?

Voyons d’abord les reproches et les arguments très nombreux qui ont été formulés à l’encontre de cette réforme.

mariage pour tous:dessinEn voici quelques uns pour mémoire : « mettre à bas une civilisation » ; « ébranler un socle du contrat social » ; « nier l’état civil qui depuis 1792 désigne le mariage comme l’union d’un homme et d’une femme » ; « remettre en cause au niveau de la filiation le principe de droit naturel de l’enfant d’avoir un père et une mère en imposant le droit à l’enfant » ; « créer une inégalité entre enfants adoptés par le fait que les enfants de couples de même sexe seront prisonniers d’une filiation unisexe » ; « modifier le code civil par la suppression ponctuelle des termes père/mère au profit de parent1/parent2 » ;

Les critiques ont porté également et, par anticipation, sur la possibilité pour les couples de femmes de recourir à la procréation médicalement assistée (PMA) et pour les couples d’hommes à la gestation pour autrui (GPA) qui engendrerait une marchandisation du corps humain. Je rajoute toutefois un argument que je n’ai ni entendu ni lu, c’est la crainte légitime de voir un couple homosexuel, dont la demande d’adoption ait été rejetée, se retourner contre ceux qui la lui refusent en arguant que c’est par homophobie. Du coup, cette crainte ne risque-t-elle de favoriser l’adoption pour ces couples par rapport aux couples hétérosexuels ?

Pour le gouvernement, en revanche, les règles relatives au mariage « ne sont que le reflet en droit de l’état de la société à un moment donné » et que le législateur « loin de porter atteinte à la liberté de mariage, étend au contraire cette liberté à ces couples, sans modifier le droit existant ». De même, que l’ouverture de l’adoption à des parents de même sexe « ne rompt pas l’égalité entre les enfants adoptés » et que « consacrer au niveau constitutionnel le principe de l’origine sexuée de la filiation ou le droit d’établir sa filiation à l’égard de ses pères et mères biologiques reviendrait à nier que la filiation est une institution qui n’est pas le seul reflet d’une donnée biologique ».

Quels étaient les véritables enjeux dans ce conflit ? Qu’est ce qui a échappé peut être aux opposants eux-mêmes ?

En réalité, le conflit qui a déchainé les passions ces derniers mois portait essentiellement sur un aspect plus profond que sont les valeurs et les convictions et non des intérêts, même si ces derniers existaient. D’un côté, pour les couples homosexuels, une revendication autour de la valeur d’égalité au niveau des droits civils au sein de la république. De l’autre, un refus justifié par un souci de protection de la valeur famille. Même s’il n’existe plus un « bon modèle » familial et qu’il se diversifie en développant une grande tolérance et une acceptation des diverses formes de famille (monoparentalité, famille recomposées, homoparentalité), les enquêtes d’opinions menées ces dernières années montrent indiscutablement que, malgré une légère érosion, dans le palmarès des valeurs comme la tolérance, l’amitié, la liberté, le respect ou le sens des responsabilités, la valeur famille est plébiscitée et semble être ce qu’il y a de plus important aux yeux des Français (mais aussi des Européens). Elle ressort même comme une des composantes clés du bonheur et des choses qui comptent car permet l’accomplissement et le bien-être des personnes qui y vivent. Et même si c’est dans une moindre mesure qu’auparavant, elle constitue un socle pour l’identité.

J’ai donc interrogé quelques opposants sur leur perception de cette valeur qu’ils brandissent. Pour eux, la « Famille »  est fondée sur la présence d’un père, d’une mère et des enfants et, s’appuyant sur l’anthropologie, que ceci suppose la présence d’un homme et d’une femme pour engendrer un enfant. C’est là qu’au niveau de la filiation ils expriment un souci de protection de l’enfant par la nécessité de préserver ses repères par rapport à ce qui, du fait de cette réforme, constituerait une négation de la différenciation sexuée. Autrement dit, ils accusent les promoteurs de la loi « d’un déni du réel » par la volonté de priver les enfants de l’inscription symbolique dans la distinction du masculin et du féminin incarnée par le couple du père et de la mère. Autrement dit, d’abolir la nature et d’effacer l’altérité sexuelle, c’est-à-dire de nier qu’un tiers de l’autre sexe a été nécessaire à la conception de leur enfant. L’hypothèse sous-jacente, est que les couples homosexuels cacheraient à leurs futurs enfants la réalité de leur conception.

Progressivement, et au fur et à mesure de la cristallisation qui s’est faite pour les raisons que nous indiquerons plus bas, la bataille des arguments des « pro » et des « anti », a fait émerger, au-delà des valeurs mis en avant au tout début de la controverse, des véritables besoins et intérêts. Dès lors, et avec ce glissement, la gestion de ce conflit s’est complexifiée avec une confusion entre des préoccupations d’une part, et des valeurs, de l’autre. S’y est rajoutée, qu’à partir de ce moment pour le gouvernement, à son besoin de départ de démontrer qu’il respectait une promesse électorale et d’avoir une image à l’avant-garde du modernisme, toute inflexion ou concession aurait été vécue comme une reculade et il aurait perdu la face.

Quand les valeurs sont en conflit, pourquoi est-ce ingérable ?

De toute évidence, le conflit autour du mariage républicain pour les personnes de même sexe, correspond parfaitement à la catégorie de conflits sur des valeurs ou des convictions telles que définies par L. Susskind et L. Field dans « Dealing with an angry public ». De prime abord, la mission de concilier des valeurs semble impossible et l’objectif des négociateurs soucieux d’éviter d’avoir des gagnants et des perdants inattégnable ? Les intérêts sont négociables mais pas les valeurs. D’où la difficulté sur le plan de la méthode à adopter.

Après mes premières expériences de séminaires de négociation raisonnée en France et au cours de mon deuxième voyage à Harvard, j’ai rencontré Roger Fisher avec dans ma sacoche quantité de questions. La première était : «  Je commence à réaliser combien votre approche est puissante quand il y a un conflit d’intérêts. Mais comment faire quand il y a un conflit de valeurs ? »

Je me rappelle sa réponse comme si c’était hier : « Comment veux tu concilier entre des « pro » et des «  anti » avortement me dit-il ? Les premiers défendent la liberté ou non d’enfanter et les seconds défendent la vie et dénoncent un meurtre perpétré contre un fœtus ». Il me signalait une situation où il était intervenu comme facilitateur pour aider des groupes de partisans et d’opposants à l’avortement à parvenir à un terrain d’entente. La porte de sortie de cette impasse, me dit-il, est apparu quand « j’ai réussi à faire travailler les deux groupes sur un intérêt partagé sans avoir à toucher à leurs valeurs respectives par nature inconciliables ». Les uns et les autres, qu’ils soient pour ou contre, ont identifié un problème commun auquel ils étaient confrontés: « Comment réussir à réduire, notamment chez les adolescentes, le nombre de grossesses indésirables ? ».

En transposant au « Mariage pour tous », le problème à résoudre peut alors se formuler ainsi : « Comment concilier entre ceux qui, pour défendre les valeurs de liberté de pouvoir choisir avec qui vivre et d’égalité vis-à-vis de la loi d’avoir une vie familiale normale, sont en faveur du mariage pour les couples de même sexe, et ceux qui s’y opposent considérant que le mariage homosexuel heurte leur foi religieuse et le sacré qu’ils y rattachent ? ». Donner des droits aux uns et les refuser aux autres est discriminatoire, mais le faire semble problématique.

Comment le gouvernement a-t-il géré cette situation de crise et quelles ont été les principales erreurs commises ?

Sans complètement exclure qu’il y avait une part de vérité dans certaines critiques à l’égard du mouvement, (l’homogénéité étant impossible quand il s’agit de réunir des centaines de milliers de personnes et, incontestablement, il y a eu des débordements et des violences occasionnés par des agitateurs et des radicaux fauteurs de trouble), l’incapacité à faire un diagnostic exact et adapté des ressorts qui ont animé ce mouvement a entraîné le recours à des stratégies inappropriées pour le combattre. J’en ai retenu huit principaux :

1-    Chercher à le politiser. Au départ, les points de désaccord brandis par les opposants au projet n’avaient rien de politique en soi mais la gauche pour le décrédibiliser et le minimiser lui a collé rapidement cette étiquette. Or, il n’a échappé à aucun observateur attentif que la droite n’a pas téléguidé ce mouvement. Elle a plus cherché à prendre le train en marche pour en tirer des bénéfices politiques et pas l’inverse. Elle a plutôt appliqué le principe «  feignez d’organiser et de contrôler ce qui vous échappe » mais elle n’était pas aux manettes. La droite n’a pas organisé ce mouvement même si elle s’y est associée une fois qu’il était lancé. Ceci a eu pour effet de déstabiliser le Pouvoir car l’adversaire est diffus comme du temps des coordinations (rappelez-vous le conflit des infirmières) dans les conflits sociaux qui agissaient en-dehors du contrôle des centrales syndicales. Il est vrai aussi que le mouvement a pris au fur et à mesure une tournure politique avec des slogans contre le pouvoir en place : « Hollande, Taubira, démission » ou « Touche pas au mariage, occupe-toi du chômage ».

2-    S’acharner à le disqualifier. Toutes les tentatives de disqualification ont été utilisées, je citerai simplement les insultes, en traitant les opposants d’homophobes ou de ringards; la diabolisation en insinuant qu’ils sont des fascistes, des intégristes et des extrémistes rétrogrades et qu’ils sont manipulés à des fins politiques et notamment par l’extrême droite ; la culpabilisation, en les accablant de vouloir renier à certains l’égalité des droits ; les accusations, qui procèdent par jugement en les considérant comme une entrave au progrès ; la caricature et la moquerie, notamment à l’égard de leur égérie Frigide Bargot, destinée à la déconsidérer aux yeux de l’opinion publique ; le dénigrement, en traitant ce mouvement, qui se vit comme un éveil de la société civile, en combat d’arrière-garde, puis, en dernier, l’amalgame avec les casseurs du PSG. L’erreur ici a été de confondre la personne (les opposants au mariage gay) avec le problème à résoudre (adapter et modifier le droit de la famille). En s’attaquant aux personnes, on a tapé sur les joueurs plutôt que sur le ballon. Ceci, plutôt que de calmer le jeu, a mis de l’huile sur le feu et a attisé la colère.

Sur ce plan, les opposants n’ont pas été en reste. Il y a eu des invectives qui ont été jusqu’à accuser les partisans du projet dans l’enceinte de Assemblée Nationale d’être des « assassins d’enfants » ; d’attaques contre le gouvernement « le gouvernement veut la guerre civile », « qu’il s’agit d’un déni de démocratie », « une dictature scandaleuse », « un coup d’état législatif », « qu’on guillotine le peuple ». Il y a eu aussi des intimidations contre des élus qui ont montré une volonté de soutenir la loi etc.

Ce type d’invectives n’a jamais fait avancer une cause. Nous avons assisté à une véritable escalade dans la gestion de ce conflit qui a atteint à certains moments un sommum en termes de violences verbales.

3-    Refuser de reconnaître les opposants comme des interlocuteurs valables. Le Président a ouvert ses portes aux représentants des associations gays alors qu’il s’est refusé pendant un long moment à rencontrer les opposants. Le reproche lui a été fait de ne les avoir reçu « qu’entre deux portes ». Avoir le sentiment qu’il y a deux poids, deux mesures et ne pas se sentir reconnus et respectés a poussé les opposants à être plus déterminés encore dans leur opposition.

4-    Afficher un refus manifeste d’écouter et se retrancher derrière le programme présidentiel. Ce qui était sous-entendu et vécu est le suivant : toutes vos gesticulations n’y changeront rien, la décision est déjà prise, la solution est déjà arrêtée, il n’y a aucune négociation possible. Ce refus, pendant un long moment, juste du dialogue avec les opposants a été vécu comme du mépris. Ce qui est remarquable avec la gauche et la droite confondues, c’est quand ils sont au pouvoir fort d’une majorité, ils se retranchent derrière la légitimité de la démocratie représentative (c’est le peuple qui a choisi) et quand ils sont dans l’opposition, ils théorisent sur la démocratie participative (la pression de la rue) en lui donnant une légitimité. C’est l’opposition entre le « pays légal » et le « pays réel » où « qu’écouter la rue » serait soit une « négation de la légitimité du parlement » soit « un signe de la vraie démocratie » selon que l’on soit au pouvoir ou dans l’opposition.

5-    Confondre le débat contradictoire au Parlement et le dialogue. Le résultat du débat contradictoire à l’Assemblée Nationale était connu par avance. Les socialistes ont la majorité et quelque soient les amendements et les tentatives de la droite pour retarder l’échéance, le texte serait voté, et il l’a été. Il y a toujours un gagnant et un perdant. Cela n’avait rien à voir avec la demande de la société civile d’abord, des religieux ensuite, d’être entendu sur ce qui, à tort ou à raison, les choquait dans cette réforme. L’ampleur du mouvement justifiait qu’une audience lui soit accordée et surtout du temps. Car écouter ce n’est pas forcément être d’accord. C’est montrer du respect à l’autre et à ses opinions. Comme le disait Evelyn Beatrice Hall (attribué faussement à Voltaire) : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’au bout pour que vous ayez le droit de le dire ». C’est cela la démocratie.

6-    Renforcer la méfiance en donnant le sentiment de mener en bateau les opposants. Ces derniers avaient le sentiment d’avoir été manipulé avec la loi instaurant le PACS. En son temps, la Garde des Sceaux, Madame Guigou, avait juré ses grands dieux que cette loi avait « pour seul but de faire reconnaître par l’Etat l’engagement de deux personnes homosexuelles ou hétérosexuelles et le dissociait du mariage. En d’autres termes, qu’elle ne touchait ni à l’adoption ni à la filiation. Elle avait rajouté que l’adoption pour un couple homosexuel était une mauvaise solution, parce que le droit, lorsqu’il crée des filiations artificielles, ne peut ni ignorer, ni abolir la différences entre les sexes et que…le droit de toute personne à avoir la vie sexuelle de son choix ne doit pas être confondu avec un hypothétique droit à l’enfant. Elle s’était élevée contre les insinuations que ce texte serait une valise à double fond, c’est à dire qu’il cacherait autre chose et l’avait qualifié de vocabulaire de contrebande totalement inacceptable ».

7-    Recourir à l’intimidation, la vexation et même la répression. Afin de décourager les opposants, le Pouvoir a eu recours à des procédés dignes de régimes policiers. Il suffisait de porter à plusieurs un sweat shirt avec le logo de la manif pour tous pour être arrêté et conduit au commissariat. Tant est si bien que le «  Conseil de l’Europe » a même été saisi par l’Italien Luca Volontè Président du groupe PPE à l’Assemblée Parlementaire afin de dénoncer « la répression croissante, inquiétante et inacceptable de la part d’un état membre du Conseil de l’Europe vis-à-vis de jeunes enfants, de femmes et des personnes âgées du mouvement social de défense de la famille qui anime la France violentés par les forces de l’ordre ». Il dénonce dans le même temps, le fait que régulièrement « des passants dans la rue sont arrêtés et verbalisés seulement en raison du port d’un vêtement à l’effigie du mouvement ».

8-    Donner le sentiment de vouloir passer en force. En bouleversant brutalement l’ordre du jour de l’Assemblée pour accélérer les débats, le gouvernement a donné le sentiment « d’un déni de démocratie » selon les opposants. Il voulait en finir au plus vite alors que eux considéraient que cette réforme, par son impact, méritait un débat beaucoup plus important et même un référendum.

Même s’il est vrai que cette opposition pouvait reporter sine die un changement d’une situation considérée comme injuste par les citoyens concernés, tout cela, a créée un climat délétère qui a attisé la braise plutôt que parvenir à l’éteindre et a alimenté la tension plutôt que la calmer. Conséquences, les opposants ont eu tendance à multiplier leurs modalités d’actions plutôt qu’à ranger leurs banderoles. Ceci a définitivement déstabilisé le gouvernement et l’a renforcé dans sa volonté d’en finir au plus vite.

Y avait-il malgré tout un espace de négociation ?

Nous l’avons écrit plus haut, quand le conflit concerne des valeurs ou des convictions qui s’excluent réciproquement et qui paraissent incompatibles entre elles, cela donne l’impression qu’il est impossible de le régler. Ceci est rendu encore plus difficile quand chacun campe sur des positions et attaque l’autre personnellement. Or, la négociation constructive nous enseigne qu’une solution, pour être efficace, doit satisfaire les deux parties. Dès lors, y avait-il peut être à cette occasion et, pour justement s’adapter à la société existante et aux évolutions des modèles familiaux, la possibilité d’être innovant et créatif.

En fait, pour parvenir à gérer ce type de situations, les pro de la négociation proposent de procéder en cinq étapes :

1-   Recourir aux services d’un médiateur. Les parties face à face ne peuvent jamais y parvenir seules.

2-     Séparer les points en conflits qui concernent des valeurs et ceux qui concernent des intérêts et chercher en premier à concilier les intérêts

3-     Arrêter des diaboliser l’autre et viser la compréhension réciproque par le dialogue et dans le respect

4-     Confronter les différentes valeurs même s’il est souvent difficile de changer les points de vue

5-     Identifier, grâce aux échanges, des valeurs partagées et s’appuyer dessus pour faire avancer le débat.

Ainsi, dès qu’il s’agit d’intérêts, cela devient du domaine du possible à la condition de recourir aux techniques de négociation appropriées. Or, les intérêts partagés étaient nombreux : protéger les enfants, être traité équitablement, protéger le conjoint survivant, satisfaire un besoin de reconnaissance, éviter les dérives de marchandisation du corps féminin …

En réalité, hormis quelques excités radicaux qui ont cherché à instrumentaliser ce mouvement ou des politiques qui ont voulu l’exploiter, les opposants, pas toujours d’accord entre eux d’ailleurs, ne cherchaient pas à rejeter la prise en compte des besoins légitimes des couples de même sexe, mais rejetaient la solution qui était mise en avant par le projet de réforme. En effet, ils ont fait des propositions pour sortir de cet affrontement mais, dans l’aveuglement de l’affrontement, elles ont été rejetées d’un revers de main. Pourquoi avoir refusé d’examiner des idées telles l’union civile ou l’alliance si elles permettaient d’accorder tous les droits réclamés et de pallier à toutes les insuffisances du PACS ? Était-ce simplement parce qu’elles émanaient des opposants ou ne répondaient-elles pas à cette quête absolue des militants homosexuels d’obtenir cette reconnaissance à laquelle ils aspirent en accédant, comme les hétéros, au « mariage » dont ils abhorraient le conformisme il n’y a pas si longtemps encore ?

Pour les « anti », la cérémonie du mariage religieux revêt une importance sur le plan symbolique et en termes d’engagement. Pour les « pro », hormis la valeur d’égalité, leur principale valeur demeure la liberté de choisir avec qui vivre.

A  partir de là, qu’est ce qui peut donner en même temps de la reconnaissance et de l’égalité pour les uns et ne pas heurter les valeurs familiales défendues par les autres ? Comment concilier le droit à avoir « une vie familiale normale » pour les uns avec les convictions religieuses des autres pour qui le mariage revêt un caractère sacré ou divin ?

Tentons un autre angle de vue en se mettant dans le champ du et plutôt que celui du ou.
Rappelons d’abord que le mariage civil avait été instauré sous la Révolution Française pour faire concurrence au mariage religieux. Rappelons aussi qu’il y a d’autres pays Européens qui ont légalisé le mariage homosexuel et cela ne semble pas provoquer de séismes dans les familles. Rappelons enfin que l’adoption simple existe déjà et autorise l’adoption pour des célibataires homosexuels et qu’il n’y a aucune étude sérieuse qui démontre que les enfants élevés par des couples de même sexe souffrent de déséquilibres particuliers.

Dès lors, et si par exemple, ne pas réserver la dénomination « union civile », « alliance » ou « contrat  républicain » aux couples de même sexe mais l’étendre à toutes les célébrations civiles en réservant à partir de maintenant à la cérémonie religieuse la dénomination « mariage » ? Ainsi, tout le monde serait logé à la même enseigne ; pas de sentiment de discrimination. En séparant le civil du religieux il n’y a plus de confusion possible et on supprime ainsi l’objet du délit. Les uns ont enfin la reconnaissance, les autres préservent leur sacré et, ne l’oublions pas, L’État garde sa main mise sur l’État Civil. Tout le monde en sortirait gagnant.

En conclusion

Si c’était cela le problème, ceci nous enseigne à nouveau que la prise de recul, l’écoute, la recherche des intérêts et la volonté de les concilier permet d’ouvrir une troisième voie pour résoudre les problèmes de façon créative. Ceci suppose, quand le conflit porte sur des questions identitaires et de valeurs, de se concentrer sur la compréhension plutôt que sur le rejet. Il s’agit de chercher à mieux comprendre la vision de l’autre plutôt que de vouloir, face à l’impossibilité de résoudre toutes les différences, soit la combattre soit tout simplement renoncer.

Mais le drame de la France reste et, je le crains, pour longtemps encore, dès qu’on creuse un peu la surface et les discours convenus, son absence de culture de la négociation. Et pour ceux qui prétendaient réconcilier la France, dans cette victoire qu’ils pensent avoir remportée, n’est ce pas là la plus grande des défaites que n’avoir pas su saisir cette opportunité pour faire émerger une société plus solidaire ? Au lieu de cela, la société française paraît plus que jamais divisée avec des clivages insurmontables.

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