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Une procédure objective pour sortir du conflit Syrien par le haut ?

Après plus de quatre ans et demi de guerre, quand il est devenu évident à tous les protagonistes impliqués dans le conflit syrien que le rapport de force militaire sur le terrain est incapable de changer la donne, ils se sont retrouvés à Vienne en octobre dernier à la même table de négociation pour rechercher une issue politique permettant de sortir du chaos.

Le « ni Assad ni Daech » porté par la France – qui a longtemps paralysé et bloqué toute tentative pour sortir de cette crise qui a fait plus de 250.000 morts et des millions de déplacés forcés à l’exode pour échapper à la mort – a fait long feu.

Après avoir limité au début les discussions à quatre pays – les Etats-Unis, la Russie, la Turquie et l’Arabie saoudite –puis les avoir élargi en novembre à dix sept (mais en l’absence du régime Syrien et l’opposition), ce processus (après les tentatives précédentes avortées de Genève 1, Genève 2 et de Montreux) parrainé par tous les acteurs régionaux et internationaux concernés par la guerre, va-t-il déboucher enfin sur une transition négociée au régime de Bachar el-Assad ?

Les négociateurs se sont mis d’accord sur une « feuille de route » qui a trouvé un cadre légal dans la résolution historique votée à l’unanimité le 18 décembre 2015  à l’ONU par ses quinze membres. Elle prévoit l’établissement dans les six mois d’un gouvernement de transition disposant des pleins pouvoirs exécutifs ainsi que l’organisation avant dix huit mois d’élections législatives. Celles-ci doivent « répondre aux normes internationales les plus élevées en matière de transparence et de fiabilité, être libres et équitables et avec tous les syriens, diaspora comprise, habilités à y participer ».

Toutefois, la question relative au sort personnel d’Assad est loin d’avoir été tranchée. C’est Ban Ki-moon secrétaire général de l’ONU et son envoyé spécial pour la Syrie Staffan de Mistura qui ont été chargés d’organiser dès janvier les négociations officielles inter syriennes. Elles visent la mise en oeuvre d’un cessez-le-feu et une sortie politique négociée de la crise en Syrie.

Quelles sont les conditions de cette réussite ?

Pour réussir cette négociation multilatérale complexe, 3 conditions, pour le moins, ont dû être réunies : l’existence d’une volonté politique pour y parvenir motivée par l’identification et la prise en compte d’un intérêt commun ; l’émergence d’un facilitateur pour manager la négociation ; le recours à une procédure objective permettant de concilier les intérêts divergents.

  • L’existence d’une volonté politique pour y parvenir motivée par l’identification et la prise en compte d’un intérêt commun

Après les attentats internationaux menés par Daech en Turquie, en Egypte, au Liban puis en France il est devenu évident que toutes les parties partageaient un but commun : détruire le groupe État islamique que certains directement ou indirectement ont contribué à sa naissance. Une prise de conscience que cette organisation est devenue un réservoir à terroristes dont l’intention est d’agir, non seulement régionalement, mais d’étendre et d’exporter son action internationalement. Ces pays ont compris enfin que leurs sécurités intérieures respectives étaient à présent menacées et qu’ils devaient mettre de côté leurs rivalités au bénéfice de ce combat partagé.

Qui plus est, l’intervention de la Russie aux côtés de Damas fin septembre, qui s’est rajoutée à celles de la coalition conduite par les Etats-Unis, la Turquie et enfin celle de la France, a engendré un risque de télescopage militaire pouvant provoquer une escalade préjudiciable à tous.

Identifier et s’appuyer sur un ou des intérêts communs est un des leviers majeurs pour amener des parties en conflit à coopérer ensemble.

  • L’émergence d’un facilitateur pour manager la négociation

Une négociation multilatérale est l’occasion pour chaque partie de jouer sa partition propre. Sans régulation et facilitation entre les différentes positions, c’est l’échec assuré.

Les américains savent bien que l’invasion injustifiée de l’Irak en 2003 et la marginalisation des sunnites suite au renversement de Saddam Hussein a provoqué le chaos actuel et ils se sentent le devoir de le réparer. C’est donc le secrétaire d’État américain John Kerry qui a joué tour à tour ce rôle de facilitateur, médiateur et acteur de ces pourparlers lancés le 30 octobre 2015. En réunissant autour de la même table l’Iran, allié de Damas, et l’Arabie saoudite, grand soutien de l’opposition, tout en associant la Russie de plus en plus incontournable, il a eu fort à faire avec les desideratas contradictoires des uns et des autres. Pour autant, il a réussi à aplanir la multitude de blocages qu’il y a eu entre les dix-sept acteurs impliqués dans cette négociation.

  • Le recours à une procédure objective permettant de concilier les intérêts divergents

Il s’agit d’un des défis principaux d’une négociation multilatérale : comment concilier entre des exigences contradictoires et des agendas très différents des puissances réunies autour de la même table ?

Hormis la détermination de la liste des groupes considérés comme terroristes, c’est le sort d’Assad et la désignation de l’équipe de transition qui étaient les enjeux principaux de cette négociation. Sur ces points, les oppositions sont bien connus : les deux pays les plus engagés sur le terrain, d’un côté, l’Iran (qui considère avoir une dette envers la Syrie son seul allié arabe pendant sa guerre face à l’Irak) de l’autre, la Russie (qui veut protéger sa seule base navale en méditerranée à Tartous) veulent le maintien d’Assad ; les Occidentaux, France en tête, et leurs alliés exigent son départ comme préalable à toute négociation. La Turquie, supposée appuyer ses alliés occidentaux, mais dont la priorité de lutte contre les Kurdes lui a fait jouer un double jeu permanent en apportant un soutien logistique à Daech. L’Iran qui, en déployant « l’arc chiite » vers le Yémen le Liban la Syrie puis, l’Irak, cherche à étendre son influence régionale ; face à une Arabie Saoudite qui voit son hégémonie sunnite menacée et qui, pour la préserver, n’a pas hésité à apporter son soutien à Daech jusqu’à leur acheter du pétrole. Les Occidentaux qui entendent concilier la morale avec leurs intérêts commerciaux et la Russie qui veut retrouver son statut de grande puissance et montrer sa capacité à protéger ses alliés.

Or, maintenant que tout le monde semblait s’accommoder d’une période de transition où le président Assad perdrait progressivement ses prérogatives, comment ne pas s’embourber dans une guerre de positions concernant ces deux questions clés : quelles personnes peuvent participer à un gouvernement de transition et ensuite quel successeur à Assad ?

Alors que le régime syrien avait fait le vide autour de lui et compte tenu des critères de choix dictés par leurs intérêts propres des acteurs concernés, il n’est pas difficile d’imaginer que désigner un successeur qui soit acceptable par la Russie, les Etats-Unis, l’Arabie saoudite, la Turquie, l’Iran, l’Egypte et j’en passe, ressemble tout simplement à une mission impossible.

La négociation raisonnée nous fournit une piste de réponse. Qu’il s’agisse d’une négociation bilatérale et, plus encore, quand elle est multilatérale, quand les intérêts semblent inconciliables, une procédure objective permettant un choix indépendant de la volonté des uns et des autres, accroit sensiblement la probabilité de l’adhésion à un accord. En effet, celle-ci permet de régler le double écueil suivant : si une partie cherche à passer en force, elle accroit la résistance qu’elle cherche à vaincre ; si, à l’inverse, elle cède aux autres, elle se sent lésée et va dès lors nourrir un ressentiment qui la poussera à rechigner à appliquer l’accord.

Pour l’illustrer j’aime souvent à raconter l’anecdote de cette maman qui veut partager une bouteille de coca entre ses deux enfants. Si c’est elle qui fait le partage, il se trouve toujours l’un des deux pour dire que le résultat est injuste car le frère (ou la sœur) a eu une goutte de plus que lui. Grâce à la procédure objective « l’un verse mais c’est l’autre qui choisit en premier », celui qui va partager la bouteille va s’efforcer à être le plus équitable possible. En effet, il sait que s’il verse un peu trop dans l’un des verres, c’est l’autre qui aura la plus grosse part.

Dans la cas de la Syrie, les négociateurs ont eu recours à la procédure objective suivante : demander à chaque partie de fournir une liste de 10 ou de 20 noms qu’elle considère acceptables pour faire partie d’un gouvernement futur ou d’être un éventuel successeur. Le pari prit est qu’il est rare dans un contexte donné de ne pas voir figurer, dans les différentes listes, des personnes choisies par tous les acteurs. Ce sont elles qui seront retenues. En procédant ainsi, le choix final aura été effectué indépendamment de la volonté de telle ou telle partie.

Grâce à cette procédure, un comité politique de 34 membres représentant l’opposition appelé à négocier avec le régime en place a pu être constitué. En temps voulu, les successeurs potentiels à Assad peuvent également être désignés avec la même procédure avant qu’une élection nationale ne tranche sur le favori du peuple Syrien.

En conclusion

Pour ouvrir la voie à la négociation et à la diplomatie et parvenir un jour peut être à la paix en Syrie, il a fallu se trouver un ennemi commun[1]. Cependant, s’il est grand temps d’arrêter cette guerre meurtrière et mettre fin à la souffrance de tout un peuple, la communauté internationale devrait être vigilante à ne pas favoriser la mise en place de régimes intégristes (par exemple en Libye) encore moins démocratiques que les dictatures auxquelles elles sont supposées se substituer.

Sachant que le peuple Syrien, pourtant le premier concerné, n’a même pas pris part à cette négociation, je voudrais terminer par une réflexion simple. S’il est vrai, quand il devient évident que les parties en conflit sont incapables de gérer par elles-mêmes leur désaccord, que seul le recours à une autorité extérieure peut contribuer à briser l’impasse et trouver une issue , il n’en demeure pas moins vrai qu’il est logique de s’interroger sur la légitimité de l’ingérence extérieure dans les relations internationales. En effet, que dirions-nous si les Présidents Obama, Poutine et Xi Jinping sans oublier, bien sûr, la chancelière Merkel, négociaient ensemble pour décider qui va succéder à Hollande ?

 

[1] Pourvu que l’exécution samedi 2 janvier par l’Arabie saoudite sunnite du cheikh chiite Nimr Baqr al-Nimr parmi 47 personnes pour « sédition » et « désobéissance au souverain » ne vienne entraver cette unanimité. La rivalité entre ces deux pays s’est immédiatement ravivée provoquant la rupture de leurs relations diplomatiques et une escalade de violence qui a enflammée le monde chiite. Plus que jamais, la médiation pour apaiser le clivage sunnite/chiite, à laquelle j’appelais dans mon précédent article, s’impose comme une condition indispensable pour retrouver la paix au Moyen-Orient et dans le monde.

2 commentaires Écrire un commentaire
  1. Gabriel Chami #

    Merci pour cette excellent analyse et j’adore l’exemple du Coca pour illustrer la procédure objective. Mais pouvons nous vraiment compter sur les Etats-Unis pour n’être qu’un facilitateur objectif de surcroit ? …

    janvier 4, 2016
    • Maya Poirson #

      Bonne Année Michel ! Merci de ce déroulement clair et concis des causes du conflit (le diagnostic) puis des pistes de solutions, sommes toutes assez simples à mettre en oeuvre, à la condition que les parties directement impliquées soient rationnelles. Ce qu’elles, hélas, sont loin d’être, surtout après cette exécution dont tu mets en garde dans ta note (1). Espérons, avec toi, qu’une médiation intelligente, légitime et apaisante pourra avoir lieu bientôt.

      janvier 11, 2016

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