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Etat/Entreprises/Syndicats : tous sur le même bateau

Souhaitant introduire une dose de mérite dans leur système de rémunération dont les augmentations étaient principalement basées sur l’ancienneté, les négociations ouvertes par la direction et les représentants du personnel de cette entreprise cliente étaient dans l’impasse. Les syndicats rejetaient totalement ce changement.

Que dites-vous ? Leur apprendre à mieux négocier !

Le DRH qui m’avait sollicité me dit : « Venez nous aider à battre les syndicats ».

– « Je vois où se situe votre problème », fut ma réponse. « Pour vous, négocier c’est un affrontement destiné à prendre le dessus sur l’autre. Si vous voulez que je vous aide vraiment, je vous propose une autre solution : effectuer une formation conjointe direction/syndicats. Ceci vous permettra de mieux négocier ensemble pour résoudre votre problème commun ».

– « Vous voulez que je leur donne des armes pour me faire battre avec », répliqua-t-il instantanément.

Ce à quoi je répondis : 

– «  Ce serait plutôt le contraire. Pour moi la négociation est comme une danse, une valse ou un tango. Un couple saura mieux danser si les deux parties l’apprennent et s’entraînent ensemble. Une formation vous initiant à la même approche de négociation vous donnera donc plus de chance d’aboutir à un accord mutuellement satisfaisant applicable et durable. ».

– « Disons que vous m’avez convaincu mais vous aurez du mal à faire accepter l’idée aux organisations syndicales » me dit mon client.

– « Convaincre quelqu’un à venir à la table de négociation est une négociation en soi. Laissez moi leur parler ».

Ce qui fut fait par des rencontres individuelles avec les 5 OS représentées dans cette banque mutuelle. Une fois que leur motivation à participer à cette expérience encore inédite commençait à se faire ressentir, une résistance ne tarda pas à se manifester :

– « Vous voulez que la base dise que nous pactisons avec le patronat », m’ont-ils dit de concert.

– Ce à quoi je répondis : « Quel risque prenez-vous ? Si après la formation vous considérez toujours que vous êtes satisfaits par vos pratiques actuelles, n’en changez pas. Le seul risque que vous prendriez, c’est d’apprendre quelque chose ! ».

C’était en 1986. Et, en prenant le temps qu’il fallait pour préparer et rassurer les deux parties, j’ai pu réaliser une première en France : mettre autour de la même table direction et syndicats pour les former ensemble à une approche commune où toutes les parties peuvent être gagnantes. Cette méthode, je l’avais apprise en 1983 à Harvard avec Roger Fisher qui m’avait accordé sa confiance pour la développer en France. Son nom, la « Négociation Raisonnée »[1], appelée depuis la « Stratégie des Gains Mutuels » ou la « Négociation à partir des intérêts ». En situation de conflit, elle aide les parties à découvrir que l’autre n’est pas un adversaire qu’il faut battre et que la négociation n’est pas à confondre avec une guerre justifiant le recours à tous les coups tordus. En ce temps, c’était vraiment révolutionnaire. 

Depuis, cette expérience fut rééditée dans plusieurs entreprises non sans rencontrer, toutefois, de multiples refus catégoriques. Son application a aussi été étendue à des formations conjointes de deux directions en conflit d’une même entreprise ou bien aux relations entre les directions commerciales et d’achat de deux entreprises différentes. Une variante plus acceptable a parfois été mise en place : former séparément et en parallèle les deux parties.

Modes de prise de décision face à cette crise : adversaires ou partenaires ?

Dans cette période de sortie de confinement, une deuxième vague s’annonce particulièrement catastrophique : la crise économique et sociale. Les enjeux sont de taille : sauver de la faillite bon nombre d’entreprises dont la survie tient à un fil et préserver l’emploi de dizaines de milliers de salariés. Pour s’adapter au nouveau contexte, limiter la casse et tenter de rebondir, les entreprises devront, pour réussir à se transformer, engager des négociations collectives multiples. Et, aucun des partenaires sociaux ne peut dire « Heureusement que le trou est de leur côté et pas du mien ». Mais, comme l’ont montré les semaines écoulées avec les exemples d’Amazon ou de Renault, ceci n’est pas toujours évident, loin s’en faut. 

Malheureusement, en France, pour certains et par idéologie, la négociation est toujours placée sous l’égide de l’adversariat conflictuel et l’épreuve de force. Alors que pour d’autres persiste une perception négative de la négociation les poussant à vouloir l’éviter à tout prix. Pour ces derniers la négociation est vécue comme une réduction de leur pouvoir et un signe de faiblesse. Tant et si bien que les mots négocier et négociation sont proscrits de leur vocabulaire pour leur préférer d’autres tels que consultation, concertation ou juste dialogue. Il s’agit là de réminiscences d’une culture monarchique qui ne devrait plus avoir cours. 

Qu’il s’agisse de certains syndicats qui ne jurent que par la lutte des classes ou de dirigeants privés ou politiques qui privilégient encore la décision unilatérale descendante, tous les acteurs seraient avisés de réévaluer leur mode de prise de décision pour faire face à la grave crise actuelle qui promet un futur désastreux. 

En effet, face à cette épreuve inédite par son ampleur, des choix différents peuvent être effectué pour l’affronter. Cela peut être celui que Le Monde a intitulé « Le dialogue social victime collatérale de la crise pour les syndicats ». Concrètement, l’Etat vient, par une ordonnance justifiée par la nécessité de favoriser une reprise rapide de l’activité à la Poste, de diminuer les délais de consultation des représentants des salariés. Il les suspend même partiellement dans certains cas en s’octroyant le droit de décider unilatéralement sans passer par les cases consultation ou négociation. 

Or, la négociation permet échange et transparence des informations, explicitation des critères objectifs déterminants tel ou tel choix et, bien entendu, une confrontation des points de vue et des perceptions réciproques. Aucune des parties ne détient à elle seule la vérité qu’elle peut imposer. Seule une décision fondée sur ces critères permet d’aboutir à des choix applicables et durables. Cette décision du Gouvernement me paraît donc regrettable. Mais pour être juste, hormis l’absence de volonté de négocier, peut être est-elle aussi motivée par le constat qu’il y a un déficit dans la capacité négociatrice de certains interlocuteurs. 

Pour parvenir à développer les compétences négociatrices de l’ensemble des partenaires sociaux, une voie concrète existe : la formation conjointe à la négociation collective. Mais ceci est plus facile à dire qu’à faire.

Une méthode innovante : les formations conjointes à la négociation raisonnée

En effet, dans le domaine de la négociation, les pratiques et les approches sont très variées. Il existe des méthodes strictement compétitives qui sont fondées sur la guerre et l’adversariat ; d’autres considèrent qu’il s’agit d’une simple approche de communication ; certains sont convaincus qu’en étant coopératif il est toujours possible d’agir en Gagnant-Gagnant ; enfin, il existe une approche qui prône un équilibre entre la compétition et la coopération : la « Négociation raisonnée ». Cependant, et comme je l’indiquais au début de cet article, deux conditions sont nécessaires pour accroître les chances de réussite :

  1. Former l’ensemble des partenaires sociaux à la « Négociation Raisonnée ». Pourquoi ? Réussir à changer concrètement la manière de traiter ensemble leurs problèmes et leurs différends, passe par un changement dans la manière de penser la nature de la négociation, de soi-même et de l’autre. Or, avec la méthode de la négociation raisonnée, il n’y a aucun conseil que je donnerais à l’une des parties que je ne puisse donner aux autres. Je le rappelle, l’objectif poursuivi est de parvenir à un accord mutuellement bénéfique satisfaisant les intérêts de toutes les parties en présence.
  2. Les formations à la négociation doivent être conjointes. Pourquoi ? Le seul fait de s’asseoir autour d’une même table pour apprendre, agit sur la croyance bloquante que les intérêts sont forcément en conflit et renforce l’idée que tous partagent des intérêts communs. De même, s’impliquer dans une activité commune est le plus sûr moyen de mieux connaître l’autre et de découvrir la personne derrière le rôle. Enfin, ceci permet de battre en brèche l’hypothèse que « le monde est comme je le vois », permet de découvrir qu’il y a plusieurs vérités et que les différences de perception constituent une des racines des problèmes rencontrés.

Limites et conditions de réussite

Même si je suis convaincu de la pertinence des formations conjointes à la négociation raisonnée, pour autant elles ne constituent pas une panacée universelle et rencontre quelques limites. En effet :

  1. L’apprentissage d’une méthode nouvelle modifiant radicalement ses manières de faire, implique beaucoup de pratiques. Or, rencontrer des difficultés dans les premiers essais peut précipiter les acteurs dans leurs pratiques et comportements antérieurs même s’ils sont inefficaces. Pourquoi : tout simplement parce qu’ils les maîtrisent mieux et qu’ils se sentent plus en confort avec. 
  2. Même si la négociation raisonnée invite à la créativité et à l’invention de gains mutuels, il existe des situations où ce que l’un gagne l’autre le perd.
  3. Tant que ce nouveau processus n’a pas produit de bons résultats, il peut créer de la distance et générer de la suspicion de la part des mandants (salariés ou directions) que les négociateurs autour de la table représentent. Ceci oblige en permanence à des négociations internes avec sa propre partie.

En conclusion : Accroître la compétence de mes interlocuteurs répond à un intérêt commun

Dans cette épreuve à venir, trouver des méthodes innovantes en matière de résolution de conflit dans les relations sociales est crucial. Les formations communes constituent indiscutablement pour moi un de ces moyens. Si l’on considère que tous les partenaires sociaux – Gouvernement, Entreprises, Syndicats – sont embarqués sur le même bateau, pour limiter les dégâts de cette crise économique et sociale toutes les parties gagneraient pour défendre leurs intérêts à faire le choix d’agir en partenaires et non en adversaires. Pour traiter leurs différends inévitables, plutôt que l’enfermement dans l’affrontement pour les uns ou l’évitement du dialogue pour les autres, je les invite à faire le pari de l’intelligence collective à la place du mépris et l’infantilisation du vis-à-vis ; de la confiance plutôt que la défiance dans leurs relations ; de la reconnaissance de l’autre comme un interlocuteur légitime et valable plutôt qu’un adversaire ou un ennemi. Accroître la compétence négociatrice de nos interlocuteurs est indiscutablement un intérêt commun. En effet, si l’ensemble des parties réussissent à trouver des arrangements créatifs à leurs problèmes, c’est un succès commun. Et si elles échouent, c’est toujours un échec commun. Espérons que les décideurs de tout bord saisiront cette perche et oseront négocier autrement.

[1] Diffusée au Centre Européen de la Négociation depuis 1983 avec plus de 100.000 personnes formées à son actif

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