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Crise de la viande de cheval et des prothèses mammaires frelatées : traiter avec un public en colère 2/4

Qu’il s’agisse de la controverse et de l’hostilité liées au projet de construction de l’aéroport du Grand Ouest à Notre-Dames-des-Landes, de la crise sanitaire engendrée par la tromperie autour de l’étiquetage de la viande de boeuf et des prothèses mammaires frauduleuses PIP, des violences suscitées par les projets de fermeture de sites de production Arcelor Mittal,Goodyear ou PSA en France ou même des manifestations contre le mariage pour tous, ces derniers mois ont vu exploser des situations de crise avec pour dénominateur commun: des mouvements de masse de publics en colère.

Comment ces mouvements engendrés par des crises autour d’un grand projet, concernant des risques sanitaires, des conflits sociaux ou même un choc de valeurs ont ils été traités par les responsables politiques ou par certaines directions d’entreprise ? Comme nous avons pu le constater, certains responsables ont montré à des degrés divers leurs difficultés ou même leurs incapacités à contenir et à faire baisser les tensions. Il suffit parfois de très peu de choses pour accentuer l’escalade. Je vous propose d’analyser le pourquoi à la lumière de la grille proposée dans “Dealing With an Angry Public” de Susskind et Field que j’ai présenté dans la rubrique décryptage livres. Pour éviter les longueurs, je vais scinder cet article en deux parties. La première sera centrée sur la crise autour de la tromperie d’étiquetage de la viande de boeuf et des prothèses mammaires frelatées. La deuxième, traitera de la crise suscitée par le projet de construction de l’aéroport NDDL.

Les consommateurs, surpris d’avoir durant des années été dupés et abusés en croyant acheter a priori des plats cuisinés à base de viande de bœuf pour découvrir, médusés, que, déjouant tous les contrôles sanitaires en France et en Europe, ils étaient en réalité servis avec de la viande de cheval, certes saine, mais pas de premier choix. La crise de confiance suscitée a conduit à une désaffection pour ces produits précipitant la chute de leurs ventes de 30 à 50% dans les grandes surfaces. Mais elle a produit aussi des dégâts collatéraux, car, dans le même moment, les plats cuisinés sans viandes d’autres industriels ont subit également des baisses de l’ordre de 10 à 15%. La société Spanghero accusée d’être à l’origine de la fraude a été placée le 19 avril en liquidation judiciaire.

Dans le même ordre mais avec un risque aggravé, puisque la santé de milliers de femmes dans le monde a été mise en danger, le scandale sanitaire des prothèses mammaires frelatées car utilisant un gel non conforme et dangereux débouche de son côté sur un procès gigantesque pour tromperie aggravée et escroquerie. Il vient de s’ouvrir à Marseille avec 5.200 plaintes de victimes porteuses d’implants frauduleux avec pour principal prévenu le fondateur de la société Poly Implants prothèses (PIP). Celui-ci a été hué par 310 victimes qui ont fait le déplacement lors de son arrivée dans la salle d’audience.

Pourquoi les experts en Relations Publiques se trompent-ils ?

Les deux crises à l’origine du ressentiment déclenchant la méfiance, la frustration ou la colère du public sont nées d’une tromperie entraînant « une peur d’un risque de dommage » dans le cas de la viande de cheval, et d’« un dommage avéré » dans le cas des prothèses mammaires frelatées. Je les ai choisi afin de montrer comment, dans les deux cas, c’est l’attitude de communication inappropriée vis-à-vis des médias qui a aggravé la situation de ces deux entreprises.

Confrontés à une publicité très négative du fait d’une large couverture médiatique de l’événement, les responsables, dans la gestion de crise, se focalisent bien souvent sur le contrôle des Relations Publiques et perdent de vue qu’ils se trouvent dans une vraie situation de négociation. Une grande majorité des conseils et experts en Relations Publiques, ne voyant absolument pas en quoi la négociation a à y voir et ignorant qu’un public en colère a surtout besoin d’être entendu avant tout, recommandent alors :

– de faire de la rétention d’informations, fussent-elles favorables ou défavorables ;

– de s’empresser de nier toute responsabilité ;

– d’éviter toute discussion avec l’autre, considéré comme un adversaire par crainte de légitimer son point de vue.

Ces attitudes sont en complète contradiction avec les recommandations de Susskind et Field dont nous avons analysé le livre « Dealing with an angry public ». C’est malheureusement ce à quoi nous avons assisté de la part des deux sociétés.

Comment détruire à coup sûr sa crédibilité et ruiner sa réputation ?

1- Ne pas reconnaître l’erreur. Dans le cas du scandale de la viande de cheval, alors que le ministre de la consommation est monté au créneau afin de restaurer la confiance du consommateur – qui exigeait des Pouvoirs Publics de remonter la filière des réseaux délictueux et de renforcer les exigences en matière de traçabilité et d’étiquetage – l’entreprise Spanghero a adopté une stratégie de communication de crise en totale contradiction avec les principes recommandés par notre livre.  Au lieu d’accepter la possibilité d’avoir commis une erreur et s’engager à la réparer si elle est avérée, l’entreprise s’est perdue dans des manœuvres dilatoires en plaidant « la simple erreur de logistique » et s’est  même auto-justifiée de fourvoyer le consommateur, sous prétexte que celui-ci réclame des produits de moins en moins chers.
Évidemment, quand il a été démontré que l’entreprise ne pouvait pas ignorer le recours à la viande de cheval et que, de surcroît, les autorités ont découvert dans les frigos de Spanghero 57 tonnes de viande de moutons qui n’auraient jamais dû franchir la frontière de l’hexagone, la réputation de l’entreprise a pris un sacré coup dans la figure.
Il en a été de même du patron de PIP qui, depuis le début de l’enquête, n’a pas cessé de se défendre et de déclarer que son gel n’était pas plus à risque que celui de ses concurrents.

La première erreur de Spanghero a donc consisté à ne pas immédiatement présenter ses excuses aux consommateurs. Ces derniers, non seulement se sentaient lésés mais ils ont rapidement exprimé des inquiétudes en matière de risques sanitaires. Il est possible de reconnaître les préoccupations du public sans pour autant s’exposer à être reconnu coupable. A défaut d’excuses, l’entreprise PIP aurait dû montrer un minimum d’empathie pour le ressenti des femmes victimes; ceci aurait atténué peut être leur ressentiment. En fait, l’attitude du fondateur vécue comme provocatrice, n’a eu cesse d’amplifier ce ressentiment car les victimes se sont senties abusées, manipulées et d’avoir utilisé un produit dont la promesse n’était pas respectée.

2- Se déresponsabiliser. Il aurait fallu déclarer dans la foulée que s’il s’avérait que sa responsabilité était engagée, il assumerait pleinement sa part. A la place, la direction de Spanghero s’est empressée de rechercher et de désigner un coupable : leur sous-traitant Comigel. Et pour prouver sa bonne foi, elle a annoncé son intention de déposer plainte à son encontre pour escroquerie. Ses conseils en communication ont dû lui dire que la meilleure défense était l’attaque. Ceci rappelle étrangement l’attitude du fondateur de PIP. Suite au décès de plusieurs patientes et de plusieurs cas de cancers suspects qui ont engendré un vent de panique et provoqué l’éclatement du scandale, celui-ci a paru ne rien regretter face à la détresse de milliers de femmes victimes de la fraude. Il s’est même payé le luxe de s’en prendre dans la foulée au ministre de la santé l’accusant de prendre une décision criminelle en décidant « l’explantation » de 30.000 Françaises porteuses de ses implants défectueux.

3- Refuser de coopérer et contre-attaquer. Face à la suspension par le Gouvernement de l’agrément sanitaire de Spanghero, l’entreprise, au lieu de montrer une volonté d’ouverture et de coopération, s’est mise sur la défensive et a joué la victime en contre-attaquant de manière violente : « La magouille vient d’ailleurs » ou bien « Les conclusions sont tendancieuses ». Les dénégations de l’entreprise PIP étaient du même acabit : « Tous les gels sont irritants mais pas toxiques…si le gel PIP n’était pas homologué, il était homologable ».

4- Cacher son jeu et susciter la méfiance. Plutôt que d’être transparent et jouer cartes sur table, elle a continué à jouer la victime et à nier être au courant qu’au moins, pour une partie des produits, c’était bien du cheval. Pour sa part, le fondateur de PIP a persisté : « Dangereux, je refuse ce mot ».

5- Privilégier l’obstruction. Plutôt que de se montrer ouverte à la recherche objective des faits afin de remonter les réseaux délictueux et générer des informations crédibles même si elles sont défavorables, l’entreprise Spanghero a lancé des « écrans de fumée » en jouant sur la corde de l’émotion. Dans ce registre, elle a pointé notamment le risque, auquel tout le monde est sensible dans cette période de crise, de perte d’emploi dramatique.

Le recours à des tactiques de relations publiques dilatoires dans le but d’embrouiller les publics concernés (autorités sanitaires, État, consommateurs, victimes…), se sont finalement retournés contre ces deux entreprises et leurs sont revenus comme un boomerang à la figure. Comment s’étonner alors de cette addition salée lorsqu’on choisit délibérément de ne pas tout dire et qu’on camoufle la vérité ? Dans les situations de crise, il est possible que l’on vous pardonne mais à la condition expresse d’être sincère. Les consommateurs abusés ont perdu toute confiance et se sont finalement détournés de ce type de produits affectant durablement cette filière. Les victimes de PIP, très en colère, se sont regroupées pour attaquer l’entreprise en justice pour falsification et lui demander des compensations.

Heureusement que d’autres entreprises de la filière agroalimentaire, concernées ou pas par la viande de cheval, notamment Findus ou Fleury Michon, se sont démarquées en adoptant d’autres stratégies plus coopératives et plus ouvertes. Elles ont institué ou même réclamé et accepté pour elles-mêmes des contrôles plus sévères. Ce qui prouve qu’elles n’avaient pas peur et qu’elles ne cherchaient pas quelque chose à cacher.

Les médias ne jouent pas le rôle que certains voudraient les voir jouer

Dans les crises, les médias occupent une place considérable car ils étalent sur la place publique la situation en question. Beaucoup oublient alors que la mission des journalistes est de rechercher les faits et de donner la parole à toutes les opinions concernant les concernant  et non pas de se contenter d’un seul point de vue ou d’une seule opinion. Du coup, si le média est d’accord avec les acteurs concernés, il est considéré comme objectif et dès qu’il montre une opinion différente et notamment celle de leurs contradicteurs, il devient subjectif et un adversaire à combattre. Or, le journaliste n’est ni le chargé de communication ni l’attaché de presse chargé de faire la propagande de tel ou tel protagoniste. Il est l’un des maillons reliant trois parties : le journaliste lui-même chargé de faire l’enquête, l’intervenant qui détient une information qui peut faire la clarté sur la situation et le public qui a besoin de voir plus clair et de comprendre ce qui se passe vraiment.

Développer avec les médias un rapport différent

Dès lors, ceci commande d’adopter une vraie relation gagnant-gagnant avec le journaliste : en lui donnant l’information qui lui permet d’informer son public qui la réclame, on l’aide à faire son travail tout en s’adressant aux consommateurs de l’entreprise qui, par exemple, demandent à être rassuré. Pour cela, il convient de :

– choisir des porte-paroles bien informés, ayant l’autorité pour s’engager, ouvert et pas sur la défensive ;

– reconnaître que les médias ont leur travail à faire : ils sont là pour trouver l’information et en faire une histoire à raconter. Les voir comme des adversaires agit comme « une prophétie qui se réalise elle-même » ; coopérer avec eux augmente la chance qu’ils produisent des informations précises, justes, objectives et une bonne couverture de l’événement ;

– dire aux médias ce que vous savez et ce que vous ignorez. La rétention d’information alimente leur détermination à déterrer les faits. Accepter l’incertitude et les informations négatives accroît la crédibilité ;

– insister auprès des médias sur leur rôle pédagogique plutôt que la recherche du sensationnel ;

– utiliser une tierce neutre pour présenter les résultats des efforts relatifs à la recherche des faits ;

– ne pas camoufler la gravité du problème ni ignorer ou réfuter les plaintes de la partie adverse ;

– adopter une approche d’ouverture et coopération avec les parties concernées.

Pour conclure

Face à ce type de situation, j’espère avoir clairement démontré le lien étroit qui existe entre stratégie de communication de crise et stratégie de négociation, raisonnée bien sûr. De même, et avec le développement considérable des sources d’information, j’espère qu’il a été bien mis en lumière combien il convenait d’avoir toujours à l’esprit que notre crédibilité et notre réputation sont en jeu. Si l’attitude des responsables et leur stratégie de communication attisent la colère de ceux ou celles qui se sentent trompés, c’est la pérennité même de l’entreprise qui est alors remise en question. Voici ce que dit cette victime de PIP qui va subir prochainement sa dixième opération:”Je voudrais que Jean-Claude Mas reconnaisse qu’il nous a mis du poison dans le corps. En plus, il savait ce qu’il faisait“.
Enfin, face à ce type de crises, trois mots clés, fondés sur la ” Stratégie des  gains Mutuels ” , sont à retenir pour guider notre comportement :

1- Compassion pour les victimes

2- Transparence dans la diffusion de l’information

3- Action fondée sur les faits objectivement démontrés

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